La Fabrication de l'aube ou le voyage de l'ombre vers la lum

Publié le par Albert Dugas

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La réalité dépasse parfois la fiction. Dans ces moments, rien ne sert de revêtir les mots de beaux apparats ou de loques atermoyantes. La vérité toute nue suffit.
 
Jean-François Beauchemin a vu la mort de près, il l'a même invitée à sa table, à l'été 2004, alors qu'une foudroyante maladie l'a plongé dans un coma profond dont il avait peu de chances de se réveiller. Et puis la mort s'en est allée, elle est sortie lentement de son corps, une expérience limite que même le plus athée des auteurs n'hésite pas à qualifier de miracle.

«C'était comme une résurrection, j'ai vraiment eu le sentiment de revenir au monde», confie au Devoir avec une infinie douceur l'auteur du Jour de la corneille, qui vient de remporter le prix France-Québec de l'ADELF.

Avec La Fabrication de l'aube, tout juste paru aux Éditions Québec Amérique, Jean-François Beauchemin, de nature plutôt pudique, a osé ce qu'il considérait jusqu'alors comme inconcevable: écrire un récit autobiographique. «C'est la première fois de ma vie que je fais cela et ce sera la dernière, lance-t-il en écho au caractère unique du contexte qui a vu naître son livre. L'expérience que je raconte et que j'ai vécue imposait que je sois dans la vérité. C'était tellement extrême... Au moment où j'ai commencé à écrire, j'en étais encore tout imprégné. Si je réécrivais ce livre, il n'y aurais pas cet aveu de fragilité -- ça fait partie de la vérité du récit.»

«Un jour, je suis mort, écrit-il d'entrée de jeu au début de son récit. C'était vers le milieu de l'été, le ciel était d'un bleu immaculé.» Le ton est donné: dans un style au naturel désarmant, l'auteur ne cherche pas tant à brosser le tableau d'un drame qu'à raconter la part de beauté qui en a émergé.



Toucher l'universel

Jean-François Beauchemin a bien compris, quand son éditeur a refusé de laisser le manuscrit dormir dans un tiroir, que son récit, bien que tiré de son intimité et tissé de personnages sans histoire, touchait à une certaine universalité.

«Il y a quelque chose qui dépasse largement ma petite expérience personnelle. Je pose des questions que tout le monde se pose, sur le rôle de l'amour dans une vie, la question de l'existence de Dieu, la proximité des gens.» Loin de prétendre que ses lecteurs se reconnaîtraient dans le détail factuel de son histoire, il sait toutefois que personne n'est à l'abri d'une épreuve limite comme celle qu'il a vécue.

Bien que chose du passé, cette difficile mais sublime fabrication de l'aube a bien sûr laissé des traces. «Ç'a tout changé, dit-il. On ne peut pas vivre une expérience comme ça sans être totalement ébranlé; on ne vit pas ça intellectuellement. Je l'ai vécue dans mon corps et dans mon coeur.» Depuis sa sortie de l'hôpital, Jean-François Beauchemin a notamment pris la décision de se retirer à la campagne et de se consacrer à l'écriture. Finie la job payante, mais éreintante, à Radio-Canada.

Comme auteur aussi, il sent une transformation, une sensibilité plus aiguisée. Les 50 pages déjà écrites de son prochain roman, qu'il entend faire paraître aux Allusifs (pour ouvrir plus grande la porte de la France), le lui indiquent. «Il y a plus de profondeur dans ce que j'écris», note-t-il à propos du vieux couple qu'il met en scène, affrontant la fin de son parcours à deux.

D'ailleurs, «il y a une chose qui est morte en moi: l'enfance», avoue-t-il à la fin de l'entrevue. Cette étape de la vie, dont il croyait ne jamais sortir et qui était si présente jusqu'ici dans ses romans, s'en est allée, avec la Grande Faucheuse qui l'a frôlé, «pour laisser place à plus de beauté».

Le Devoir

S'ouvrir à l'indicible

«C'est comme une rencontre de la nuit et de l'aube», rapporte celui qui fait abondamment référence au ciel étoilé accompagnant ses nuits ballottées par le combat incessant de la mort et de la vie en lui. À sa lente sortie des limbes du trépas et à sa remontée vers la lumière se joint un autre mouvement, celui qui mène son esprit pourtant pétri de pragmatisme et de cartésianisme du côté de l'émotion et de l'indicible.

«C'est sûr que j'ai été très bien soigné par les médecins et les infirmières, relate-t-il. N'empêche que, si je n'avais pas eu autour de moi des gens proches qui m'aiment et que j'aime, je serais mort. J'ai toujours dit cela et je le dirai toujours parce que je le ressens profondément. C'est mystérieux tout cela. J'ai été à même de constater l'importance de l'amour. Ça m'a sauvé la vie.»

Moins le récit d'une conversion que celui d'une ouverture à ce qui lui était jusqu'ici étranger, La Fabrication de l'aube est aussi une ode à ceux qui en furent les instigateurs. Chaque chapitre, truffé de témoignages, de réflexions, de questionnements sur la vie, la mort, rend un poignant hommage à sa famille et à sa femme. Comme si, en sondant la nature profonde des êtres aimés et de la relation qu'il entretient ou a développée avec eux dans l'enfance, il pouvait puiser la matière même de ce qui l'a sauvé comme homme -- et comme écrivain.

«C'est une chose curieuse de sentir en soi-même l'amour résister aux coups que lui inflige le corps, tandis même que ce corps relâche peu à peu son emprise sur les choses, s'affaire au projet de sa mort. Peut-être y a-t-il dans ce phénomène un peu de l'immortalité que les religions mettent en vitrine depuis si longtemps. Peut-être même cela est-il à l'origine de l'invention de Dieu.»

Publié dans a-livre-ouvert

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